LETTRE OUVERTE À L'INITIATIVE DES SENTINELLES –
FÉDÉRATION DE COMPAGNIES PROFESSIONNELLES DU SPECTACLE
VIVANT
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Nous, les compagnies qui faisons vivre le festival off
d'Avignon depuis des dizaines d'années, avons décidé de
nous mobiliser.
À sa création en 1966, le festival off a été un vent de
liberté, dépoussiérant les institutions, repoussant les
limites de l'insolite, créant un foisonnement et une
émulation créatrice uniques au monde.
Voguant sur cette euphorie des premiers temps, les
spectacles se sont multipliés, et les théâtres à leur
suite. Les spectateurs sont venus plus nombreux chaque
année, et le festival est devenu cette poule aux œufs d'or
qui fait vivre toute la ville, restaurateurs, commerçants,
habitants, et qui offre aux compagnies, une vitrine sans
égale pour faire tourner leurs spectacles.
Mais imperceptiblement le foisonnement a fait place à
l'efficacité, l'insolite a fait place au « produit culturel
», l'insouciante légèreté créatrice, à la recherche cynique
d'une création prête à se vendre. Et la liberté des débuts
a inévitablement plié sous la pression d'une course
effrénée à la rentabilité.
Nous sommes tous complices de cette dérive.
Aujourd'hui, faute d'un contrôle dont personne n'a jamais
voulu prendre la responsabilité, le festival off d'Avignon
est EN DANGER.
Il est en danger parce que les compagnies de théâtre n'ont
plus les moyens techniques de présenter des spectacles de
qualité.
Il est en danger parce trop de compagnies de théâtre se
ruinent chaque année pour y participer et que leurs forces
s'assèchent.
Il est en danger parce que les contraintes de rendement
auxquelles on les astreint, les obligent à formater leurs
spectacles et notamment à en réduire la durée, les décors
et la lumière.
Savez-vous que dans certains théâtres d'Avignon les
spectacles se succèdent à un tel rythme (jusqu'à 10 par
jour) que les spectateurs ont à peine le temps d'applaudir
à la fin ?
Savez-vous que parfois des décors entiers doivent se monter
et se démonter en moins de 10 minutes ?
Savez-vous qu'au festival d'Avignon, tous les théâtres ne
fournissent pas les projecteurs pour éclairer les
spectacles ?
Savez-vous que même en faisant tous les jours salle comble,
une compagnie est condamnée à s'endetter ?
Tout cela pourrait passer pour du folklore. Nous avons
d'ailleurs accepté cette situation pendant des années,
parce que c'est notre vie et que nous l'avons choisie ainsi
avec cette part d'artisanat. Mais en bons artisans, nous
aimons aussi le travail bien fait.
Or aujourd'hui les conditions ne sont plus réunies pour que
nous puissions faire notre métier comme nous
l'aimons.
Le festival off d'Avignon est un bien commun beaucoup trop
précieux pour que nous acceptions de le laisser dériver
inéluctablement vers son auto anéantissement.
C'est pourquoi nous, les compagnies de théâtre, avons
décidé de nous mobiliser pour refuser collectivement cet
état de fait.
Nous voulons replacer les compagnies au cœur du festival
off parce qu'elles sont le cœur de la création théâtrale
française.
Nous voulons que la qualité artistique soit remise au
premier plan et qu'elle ne soit plus supplantée par les
impératifs financiers de la rentabilité.
Nous voulons avoir le temps de présenter des spectacles
ambitieux et cesser cette course folle en avant qui veut
que nos spectacles soient de plus en plus courts, de plus
en plus efficaces, de plus en plus formatés.
Nous demandons aux organismes de tutelles de nous épauler
dans notre volonté de changement.
Nous proposons aux théâtres du festival off qui partagent
cette ambition vertueuse, d'agir avec nous pour cesser
d'alimenter cette inflation dévastatrice.
Nous invitons toutes les compagnies du spectacle vivant à
nous rejoindre.
Nous avons le désir ardent de nous associer en nombre,
compagnies, producteurs, théâtres et spectateurs, pour tous
ensemble reconstruire le festival que nous aimons et qui
fait honneur à notre métier, autour de règles équitables et
réciproques.
Notre mouvement propose un certain nombre de mesures que
nous ferons paraître dans un texte établissant un PACTE
VERTUEUX entre tous les acteurs de ce grand rendez-vous :
commerçants, habitants, spectateurs, et en premier lieu les
théâtres dans lesquels nous nous produisons.
Nous, les compagnies du spectacle vivant, faisons savoir
aujourd'hui que le festival d'Avignon ne vivra pas sans
nous, que le théâtre et le spectacle vivant ne vivront pas
sans nous, parce que nous en sommes la matière
vivante.
Portons fièrement notre voix.
Les Sentinelles