PHILIPPE CAUBERE

 

Il y a 35 ans de cela, je venais de créer « La Danse du Diable » et Ariane (Mnouchkine), venue me voir jouer à Bruxelles, me demanda ce qu’elle pouvait « faire pour moi ». M’aider, lui répondis-je, à le créer en Avignon. Ce qu’elle fit peu après en le recommandant au nouveau directeur du Festival.

 

Après avoir découvert la Condition des Soies, je suppliai Guy-Claude François, scénographe du Théâtre du Soleil de trouver un moyen pour faire entrer le plus de monde possible dans ce petit endroit, tout en gardant le plus d’espace possible… pour y pouvoir jouer ! Il en inventa un, le plus simple, le moins cher : un petit gradin inspiré des « pitts » de Martinique, où sont donnés les combats de coqs. Il y est toujours, quoique repeint en gris…

 

Quand l’an dernier, Danièle Carraz, compagne de Jacques-Henri Pons, m’écrivit qu’elle devait se séparer du théâtre, et qu’elle souhaitait que ce soit moi plutôt qu’un autre qui l’acquière, car cela « la rassurerait », je ne pus lui répondre que je n’en aurais probablement pas les moyens. Et pas seulement financiers ! Mais que… je connaissais quelqu’un, de très proche, qui, peut-être, les aurait. Ce qui ferait que, même si je n’en serais ni propriétaire ni directeur, je pourrais tout de même me permettre de donner mon avis.

 

Lorsqu’Anthéa m’a demandé si j’accepterais d’écrire un texte pour son ouverture, je lui répondis : « D’accord, si tu fais sauter le faux plafond ! » De précédents occupants du bâtiment avaient en effet jugé bon d’en camoufler la voûte et cacher ainsi aux yeux ce qui en fait la magie.

 

 

Un jour, il y a quelques années déjà, on m’invita à passer voir la salle dans l’idée de, peut-être, y revenir jouer. La vue de cette occultation – disons-le : de cette aberration - m’avait horrifié. Et je m’étais enfui, désespéré une fois de plus par l’absence de goût, de jugement tout simplement, dont semblent parfois affligés les gens de théâtre.

Eux qui, plus que tous, devraient en être, au contraire, doués. Mais sans doute ne s’agissait-il que de soucis matériels et pratiques liés aux contraintes et impératifs de cette espèce d’industrie féroce qu’est devenu le Festival « off » d’Avignon.  

 

Peu importe : le plafond est tombé, délivrant et dévoilant la merveilleuse voûte et toute sa beauté. Il ne reste plus à Anthéa que de rendre au gradin sa couleur tauromachique, si bien accordée à la couleur des briques.

A partir de ce lieu retrouvé, je lui souhaite, à elle et son équipe comme à toute sa famille, - car elles sont toutes sur le pont - à toutes celles aussi et ceux qu’elle y va recevoir, compagnies et public réunis, toutes les chances et les bonheurs possibles. 

 

Dans ce carpharnaüm géant, horrible et magnifique, de ce mois de juillet, la Condition des Soies, comme le Théâtre du Chêne Noir, le Théâtre des Carmes et quelques rares lieux encore, se doit d’être un havre. Un endroit de paix, de silence et de rêve. Où l’on se cache et où l’on réfléchit. Mais où l’on s’aime aussi et où l’on rit. Car c’est par là, et de là, et d’ici, que loin des fastes et des réunions, loin du vacarme et des cris, pourra naître et se développer le seul théâtre qui vaille : celui de la vie.

Philippe Caubère 

11/06/2016


© Photos Michèle LAURENT

© Photos Michèle LAURENT